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Bien que les racines des arts autodidactes ou Outsider Art s'étalent sur des milliers d'années, il convient de jeter un coup d'oeil sur son plus récent précurseur, l'Art Brut, pour comprendre ses articulations vitales. Dans son manifeste de 1947, l'artiste français et collectionneur Jean Dubuffet a défini ainsi le terme d'Art Brut: « Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (...) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode ».
Dans un livre phare de 1972 consacré à l'Art Brut, Roger Cardinal lui donnera le nom d' « Outsider Art », que l'on peut traduite de plusieurs façons: Art marginal, autodidacte, indiscipliné, création hors réseaux... « Je crois qu'un facteur primordial dans la définition critique de la création autodidacte, c'est que l'artiste devra faire preuve d'une impulsion expressive qui s'extériorisera ensuite d'une manière non contrôlée défiant la contextualisation historique et artistique classique. »
Dubuffet et Cardinal ont écrit essentiellement sur des artistes européens se trouvant dans les limites extrêmes de la marginalité: des psychotiques, des médiums, des excentriques. Ce qui est à l'origine d'une idée fausse associant Art Brut et pathologies, alors que la caractéristique principale de ces artistes marginaux est tout simplement leur manque de connaissance en histoire de l'art ou sur les tendances du monde de l'art.
Au fil des ans, les paramètres de l'Art Brut tel que le conçoit Cardinal se sont considérablement étendus pour inclure une plus grande variété d'artistes partageant le dénominateur commun de la « créativité brute ». Ces artistes proviennent de tous les milieux, de toutes les cultures, de tous les groupes d'âge.
Ces dernières années, les artistes d'Art Brut ont surpassé en nombre les artistes initiés au monde de l'art et reconnus comme tels par la critique d'un art « d'élite » qui rend cependant compte de l'expérience humaine avec de moins en moins de clarté et de pertinence. La description de Dubuffet de l'art officiel n'a jamais été aussi pertinente: «c'est l'Art que tout le monde asperge aussitôt de champagne et que les conférenciers promènent de ville en ville avec un anneau dans le nez. C'est le faux Monsieur Art »
La genèse de l'Art Brut pourrait bien se trouver sur la paroi d'une grotte préhistorique, ou dans le travail d'un visionnaire excentrique (pensez à William Blake), ou chez ce génie-artiste mythique imaginé par les philosophes et les poètes romantiques. Les artistes d'Art Brut ont toutefois commencé à être reconnus au début des années 1920 avec la publication de deux études pionnières sur l'art en milieux psychiatriques, effectuées par des médecins européens à la recherche de vérités universelles sur la créativité.
Les expressionnistes allemands se prennent aussitôt d'affection pour les artistes schizophrènes présentés dans ces études - en particulier Adolf Wölfli , Karl Brendel et August Naterrer - et en font leurs muses en s'appropriant leur imaginaire. A Paris, les surréalistes s'inspirent aussi de ces études, ainsi que des visions médiumniques d'Augustin Lesage et de Hélène Smith, célèbres praticiens du dessin automatique.
Il faut cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que l'Art Brut soit vraiment reconnu comme tel, et non plus comme un simple matériau de base pour l'avant-garde artistique. L'artiste français Jean Dubuffet a porté l'obsession surréaliste pour les artistes d'Art Brut à un autre niveau en osant collectionner et exposer leur travail. Non seulement défend-il l'art des schizophrènes et des médiums, mais il célèbre l'art des reclus excentriques et des ouvriers autodidactes. Dubuffet a su reconnaître dans les oeuvres de ces artistes hétérogènes un trait unificateur : une matière brute, non contaminée par les règles académiques ou les tendances actuelles.
En 1947, Dubuffet organise à Paris une exposition manifeste, baptisée Art Brut, qui marque un tournant. La collection d'Art Brut de Dubuffet ne cesse d'augmenter au fil des décennies et trouve finalement refuge à Lausanne, en Suisse, en 1976. Cette collection unique aurait très bien pu rester dans l'ombre, s'il n'y avait eu la publication en 1972 de l'essai “Outsider Art” par le chercheur britannique Roger Cardinal. Le livre de Cardinal et l'exposition qu'il organise à 1979 à Londres ont permis à l'Art Brut de prendre son envol sur la scène internationale et de devenir cette “force” qui continue à défier et à redéfinir les limites de ce que nous appelons l'art.
« La définition critique de la création autodidacte, c'est que l'artiste devra faire preuve d'une impulsion expressive qui s'extériorisera ensuite d'une manière non contrôlée défiant la contextualisation historique et artistique classique. »
- Roger Cardinal
Dubuffet ne permit pas à sa Collection d'Art Brut de circuler après son installation permanente à Lausanne en 1976. Bien que des expositions ultérieures (Cheval, Singulaires, Harald Szeemann) et des publications aient mis en lumière en Europe l'Art Brut tel que le concevait Dubuffet, c'est l'exposition de 1979 à Londres qui a lancé cette forme d'art sur la scène internationale. Les commissaires Cardinal et Musgrave ont élargi la vision originale de Dubuffet pour inclure des artistes américains comme Henry Darger, Martin Ramirez et Joseph Yoakum. Les commissaires ont ouvert la porte à des artistes influencés par la culture vernaculaire - une caractéristique que Dubuffet avait rejetée - tout en continuant de mettre en valeur l'esprit original de l'Art Brut. Ce qui avait commencé comme un défi lancé aux limites rigides du milieu artistique parisien de la première moitié du 20e siècle s'est transformé en un phénomène mondial sur le point d'englober une vaste gamme d'art marginal sous la bannière de l'Art Brut.
Au début des années 1980, l'Art Brut a déclenché une transformation radicale dans le domaine de l'American Folk Art, ou l'Art populaire américain. Les conservateurs, collectionneurs, chercheurs et critiques qui avaient lutté en vain pour inclure des artistes contemporains marginaux dans la catégorie traditionnelle des arts populaires ont commencé à adopter l'esprit révolutionnaire de l'Art Brut. Les collectionneurs et les commissaires ont commencé à faire des acquisitions audacieuses et à promovoir des expositions nouvelles et risquées présentant côte à côte des artistes américains et européens. L'Art Brut a éclairé de sa flamme les expositions d'art populaire tout au long des années 1980, forçant une scission radicale entre le traditionnel et les aspects contemporains de ce champ artistique. L'Art populaire américain est devenu synonyme d'Art Brut, malgré un rejet des académiciens qui jugent cet amalgame politiquement incorrect.
Au début des années 1990, l’Art Brut était prêt à défier les frontières arbitraires du monde de l’art. En 1992, l’exposition « Visions parallèles : Artistes Modernes et Outsider Art » du Musée d’Art de Los Angeles (LACMA) a souligné la forte influence exercée par l’Art Brut sur les principaux mouvements artistiques depuis le début du XXème siècle. Influence confirmée, plus récemment, par « Outliers et American Vanguard Art (2018-2019) », à la National Gallery of Art de Washington. Au cours des deux dernières décennies, commissaires expérimentaux et marchands d’art ont joué un rôle majeur dans la présentation d’expositions hybrides, « After Nature » au New Museum, « Dargerism » au American Folk Art Museum et « Glossolalia » au MoMA, toutes en 2008 ; elles combinaient artistes conventionnels et autodidactes, et remettaient en question les frontières entre courants normaux et marginaux.
La plus marquante évolution a été l’émergence de foires d’art et d’évènements internationaux consacrés au travail des artistes bruts, comme l’Outsider Art Fair à New York et à Paris, et l’inclusion croissante de ces artistes dans des expositions bien établies : Documenta, le Carnegie International, ou, en 2013, la cinquante-cinquième édition de la biennale de Venise, intitulée « the Encyclopedic Palace » par le commissaire Massimiliano Gioni, formidable hommage à l’Italo-américain Marino Auriti. Parmi les autres institutions qui ont accueilli des artistes bruts, citons le Brooklyn Museum, avec une rétrospective de Judith Scott en 2014, « Bound and Unbound » ; Le Musée d’Art Moderne de Paris, avec une exposition solo d’Henry Darger; et le Metropolitan Museum of Art de New York, avec son exposition de 2018, « History Refused to die ».
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